Le bâti rural actuel au Cambodge se caractérise par des notions architecturales bien précises. Dans la campagne khmère, se sont érigés de nombreux petits villages et hameaux aux habitations sur pilotis dont la structure n’a quasiment pas évoluée pour certaines depuis la fin du XIXème siècle. Mais ces dernières années, on constate une mutation du bâti traditionnel et l’émergence de nouveaux modèles architecturaux s’inspirant du traditionnel. Il n’y a pas un, mais plusieurs types d’habitats traditionnels de qualité variable en fonction de la classe sociale de leurs propriétaires. Quant au modèle originel, qui est celui des plus pauvres, il aura tendance à s’effacer au fur et à mesure que le pays s’ouvrira sur l’extérieur et deviendra une nation moderne.
La vie dans les villages
L’habitat traditionnel cambodgien est tout d’abord une maison rurale, ouverte sur l’espace et l’extérieur. Il doit se trouver dans un environnement où la famille, les champs, les animaux, et même certaines espèces végétales, ont chacun leur place. Ce sont des maisons organisées autour d’un espace de vie de taille variable, généralement délimité par des arbres ou une petite clôture. Les délimitations du privé et du public ne sont pas toujours visibles et il est tout à fait courant de traverser la parcelle du voisin pour accéder à la sienne. Le sol nu en face de la maison sert de zone de travail principale pour le riz ou pour n’importe quelle tâche majeure nécessitant beaucoup d’espace. La partie de la parcelle située à l’arrière de la maison est utilisée comme espace privée : des fosses sont creusées pour les toilettes et les ordures.
De nos jours, la société khmère est toujours régie par d’innombrables croyances et superstitions d’influences animiste, hindouiste et bouddhiste. Des croyances qui se déclinent en une série de rites et de processus cérémoniels que l’on observe jusque dans l’édification des bâtis et qui ponctuent encore aujourd’hui le quotidien de millions de Khmers.
Le mode de construction et les croyances
Pour le Khmer, la maison est avant tout un abri matériel et spirituel et doit s’insérer dans un univers animé d’esprits. Au Cambodge, de tous temps, un culte est voué à différents génies appelés Neak Ta
Ces génies fonciers sont considérés comme les véritables propriétaires des sols et assurent la protection aux gens du village ainsi que la santé, la fertilité des terres ou encore les pluies régulières. Construire une maison sans accord des maîtres du sol peut apporter le malheur à son propriétaire.
Selon les croyances, la maison traditionnelle khmère doit être dressée en un seul jour solaire, ce qui oblige le futur résidant à préparer des années à l’avance tous les éléments de construction. Le premier geste avant même l’acte de bâtir, sera de célébrer une cérémonie pour demander à la déesse de la forêt l’autorisation de couper des arbres. Le jour opportun désigné par l’Achar du village, on ouvrira le chantier avec les membres de la famille et des amis ou encore avec tout le village si la maison est importante. Après avoir fait la demande au Naga et aux maîtres fonciers de disposer du sol, la permission est finalement accordée si la place des hommes est minime et si l’opération ne dure qu’une journée solaire durant laquelle la terre supportera les chocs.
Lorsque le couple des futurs occupants se présente à la nuit tombée, un Kru les attend pour les assister dans un processus cérémoniel complexe. Le couple devra tourner 7 fois autour de la maison et répondre correctement aux questions posées par le Kru avant que ce dernier ne relaye l’autorisation des esprits à prendre occupation des lieux.
Les nouveaux propriétaires accomplissent alors un huitième tour en chantant et en poussant des cris de joie. Enfin, une maison aux esprits devra être placée sur un pied en hauteur, orientée Sud ou Nord, l’ombre du bâtiment ne devra pas la toucher. Dans ces conditions, et dans une attention régulière en offrandes et petites prières quotidiennes, le Neak Ta repoussera les mauvais esprits, les fantômes et même les voleurs.
L’architecture traditionnelle
L’habitat traditionnel khmer présente toujours un même schéma de construction : un bâtiment rectangulaire en bois ou en matériaux végétaux surélevé grâce à des pilotis.
Plus un individu sera fortuné, plus le modèle architectural originel aura tendance à disparaître.
Le modèle architectural des habitations dans lesquelles vivent les ménages modestes n’a, quant à lui, pas évolué en cinquante ans. Les matériaux et la forme de l’habitat restent les mêmes.
Ces ménages n’ont pas les moyens d’investir dans leur maison et édifient souvent leur habitation avec la famille. Ils utilisent des matériaux qui ne leur coûtent rien, récupérés dans les forêts alentours.
Pour la classe moyenne, mais aussi pour les plus riches, les choses sont très différentes. On cherche à montrer sa réussite sociale, voire sa supériorité. Une réussite qui passe entre autres par l’édification d’une nouvelle maison. Le pauvre n’est rien, juste une main-d’œuvre bon marché sans considération. Construire une maison trop traditionnelle rappellerait l’habitat paysan, alors on cherche de plus en plus à s’émanciper des modèles architecturaux classiques en faisant appel à des architectes et à différents artisans tels que des charpentiers ou menuisiers. Ainsi, la maison du riche évolue et commence à recevoir l’influence des villes.
Le ciment remplace peu à peu les matériaux naturels, les pilotis s’effacent et les modèles classiques des habitations rurales khmères tendent à disparaître.
Ainsi des maisons dites « néo-thaïs » ou encore « néo-grecques » font leur apparition. Ces demeures émettent un signe ostentatoire pour ses propriétaires qui possèdent souvent plusieurs habitations, celle à la campagne étant la résidence secondaire, éloignée de la ville.
Revendication d’une identité religieuse dans la construction
Il n’est pas rare d’incorporer à sa maison des éléments issus de l’architecture religieuse. Les toits utilisés auparavant pour les pagodes se construisent de plus en plus pour des maisons d’habitation. Une construction assez coûteuse et complexe encore une fois réservée à une élite. Si pour un notable il peut être incongru que son espace de vie ressemble à une habitation paysanne, cela ne lui posera aucun problème si celle-ci ressemble à une pagode bouddhiste.
On peut parler d’une certaine perte de sacralité, phénomène qui aurait été inenvisageable dans la société cambodgienne d’avant le régime khmer rouge. Même à l’époque angkorienne, les palais royaux étaient en bois et l’élite khmère ainsi que les rois, aussi puissants soient-ils, ne permettaient pas de construire leur demeure en pierre ou dans une architecture rappelant un temple. Ce type de construction massive était alors destinée aux seuls dieux du panthéon hindouiste.
Cette désacralisation ne s’observe pas uniquement dans les rajouts architecturaux religieux. Les processus cérémoniels de bâti sont également de plus en plus rares. Construire de plain-pied ne fait donc plus peur aux riches khmers. Ainsi, ce n’est pas seulement tout un modèle architectural qui disparaît, mais également un mode de vie et de traditions qui étaient liés à l’édification du bâti traditionnel.
Plus qu’une manière de bâtir, c’est une partie de la culture et de l’identité khmère, fondée en grande partie sur la ruralité et le respect de la terre et des esprits, qui s’efface à tout jamais.
Un processus d’ouverture et de changements économiques
Il est probable que le régime khmer rouges soit en partie responsable de cette déstructuration religieuse, de cette désacralisation de l’univers des esprits de la part des plus riches. Traumatisés par le régime khmer rouge, le Cambodge s’ouvre aujourd’hui de nouveau sur le monde extérieur.
Notamment via la télévision, les nouvelles générations sont influencées par un mode de vie à l’américaine ou à la thaïlandaise. Le Cambodge est à son tour inéluctablement rentré dans la civilisation moderne et apparaissent de nouveaux modèles de construction inspirés de l’étranger. Même si l’habitat traditionnel khmer reste majoritairement présent dans les campagnes, il est probable que d’ici une cinquantaine d’années, les habitations se rapprocheront davantage de nos modèles occidentaux que de ceux sur pilotis que l’on trouve actuellement au Cambodge.
Dans le prochain article nous verrons plus en détail les différents modèles architecturaux.